Source : Biosourcé, Volume 5, numéro 1 – juillet 2017
Éditorial de Marc Hamilton, Président d’Eurofins EnvironeX
Éditorial de Marc Hamilton, Président d’Eurofins EnvironeX
DétailsDans les dernières années, des mots tels que « adultération », « substitution » et « fraude alimentaire » ont vu leur apparition dans le jargon des différentes normes régissant l’industrie agroalimentaire mondiale. Pendant longtemps, les référentiels, comme le GFSI, le SQF et le BRC, se concentraient plus spécifiquement sur les aspects de salubrité et de sécurité alimentaire. Au fil du temps, des mesures de contrôle se devaient d’être mises en place face à l’ampleur grandissante de ce fléau.
Le contenu de cette édition du Biosourcé permettra de définir clairement la fraude alimentaire. Toutefois, avant de poursuivre, force est d’avouer que les cas de fraude alimentaire se multiplient dans les nouvelles. Scandale de la viande chevaline en Europe, utilisation malhonnête de l’appellation « Produit du Canada », rapports qui signalent que 70 % de l’huile d’olive extra-vierge serait… fausse! Rien de bien rassurant pour le consommateur qui n’arrive plus à savoir ce qui se retrouve dans son panier d’épicerie ou encore dans son assiette.
Bien que l’enjeu de la fraude alimentaire soit colossal, les mesures requises pour la contrer demeurent néanmoins à la portée de tout transformateur ou distributeur soucieux d’offrir à ses clients ce qui est écrit sur l’emballage de son produit. Dans le cadre de son programme d’assurance qualité, l’industriel s’assure de la mise en place d’une analyse de vulnérabilité et d’un plan de surveillance adaptés selon la provenance des intrants qui se retrouvent dans ses produits. Par exemple, un plan de surveillance inclura les éléments suivants : 1) un programme de qualification des fournisseurs; 2) un plan d’échantillonnage des matières premières; et 3) l’analyse des matières premières. Afin de contrer la continuelle créativité des fraudeurs, ces plans de surveillance devront être régulièrement révisés et ajustés.
Depuis 2016, l’équipe d’experts d’Eurofins EnvironeX s’affaire à développer des méthodes analytiques destinées au plan de surveillance requis pour la lutte contre la fraude. Depuis maintenant quelques mois, Eurofins EnvironeX est le premier laboratoire canadien à offrir une panoplie d’analyses permettant d’assurer l’authentification des ingrédients.
Notre entreprise s’est dotée de la devise suivante : « Eurofins EnvironeX un emblème de qualité de vie ». Cette qualité de vie, nous la souhaitons à tous nos partenaires d’affaires, à nos clients, à nos fournisseurs et à nos employés. Notre implication dans le combat contre la fraude alimentaire est la contribution de l’ensemble de l’équipe d’Eurofins EnvironeX visant à offrir, à tous les consommateurs québécois, un accès à des produits non adultérés et à l’étiquetage authentique.
La fraude alimentaire se définit comme « la substitution, l’addition, l’altération ou la présentation inexacte des aliments, des ingrédients alimentaires ou des emballages alimentaires, ou des déclarations fausses ou trompeuses faites à propos d’un produit de manière délibérée et intentionnelle à des fins de gain économique » [1].
Bien que les médias se passionnent depuis peu pour la fraude alimentaire, il serait faux de penser que ce fléau touche les consommateurs depuis seulement quelques années, car la fraude alimentaire existe depuis que l’homme vend des produits alimentaires. De fait, des textes de loi datant de l’époque de Rome et d’Athènes parlent de l’adultération du vin avec des saveurs ou des colorants.
Le premier à avoir mis en lumière la fraude alimentaire et ses techniques de détection s’appelle Frederick Accum. Ce chimiste allemand vivait au 19e siècle à Londres et a mis en évidence différents cas de fraude alimentaire qui mettaient la vie des consommateurs en danger. Déjà à cette époque, de nombreux composés chimiques dangereux pour la santé étaient ajoutés dans les produits alimentaires pour leur donner un meilleur aspect et un meilleur goût : par exemple, l’addition d’oxyde de plomb dans le fromage ou dans le poivre de Cayenne, ou encore l’addition d’acide sulfurique dans le vinaigre. L’objectif de Frederick Accum était d’instruire les consommateurs et de leur donner des outils pour détecter les fraudes par le biais de son livre « A Treatise on Adulterations of Food and Culinary Poisons » (Traité sur la nourriture frelatée) publié en 1820 [2]. Accum y décrivait, entre autres, des techniques de détection de fraudes alimentaires de l’époque. On peut citer, à titre d’exemple, des méthodes simples pour distinguer les feuilles de thé (tea leaf) des feuilles de prunelle (sloe leaf) par leur forme et leur texture, ou pour détecter la présence d’oxyde de plomb à l’aide de sulfure d’hydrogène [2]. Par ailleurs, notons que le livre d’Accum est disponible en lecture libre sur Internet puisqu’il est désormais du domaine public [2].
Plus récemment, en 2013, l’entreprise grecque Spanghero a été au coeur d’une grande affaire de fraude alimentaire. Cette dernière avait ajouté de la viande de cheval à la viande de boeuf utilisée dans des plats de lasagnes. C’est d’ailleurs depuis cet incident que les instances réglementaires de l’Union européenne développent des règlements et des systèmes de détection et de dénonciation de fraudes alimentaires. Qu’en est-il au Canada? Le système de détection et de surveillance des fraudes alimentaires au Canada n’est pas institué aussi précisément que celui des États-Unis ou de l’Europe. Au niveau réglementaire, la loi sur les aliments et les drogues mise à jour récemment (février 2017) stipule ceci dans l’Article 5 : « Il est interdit d’étiqueter, d’emballer, de traiter, de préparer ou de vendre un aliment — ou d’en faire la publicité — de manière fausse, trompeuse ou mensongère ou susceptible de créer une fausse impression quant à sa nature, sa valeur, sa quantité, sa composition, ses avantages ou sa sûreté ». En d’autres termes, la loi canadienne interdit la fraude alimentaire.
Qu’en est-il au Canada? Le système de détection et de surveillance des fraudes alimentaires au Canada n’est pas institué aussi précisément que celui des États-Unis ou de l’Europe. Au niveau réglementaire, la loi sur les aliments et les drogues mise à jour récemment (février 2017) stipule ceci dans l’Article 5 : « Il est interdit d’étiqueter, d’emballer, de traiter, de préparer ou de vendre un aliment — ou d’en faire la publicité — de manière fausse, trompeuse ou mensongère ou susceptible de créer une fausse impression quant à sa nature, sa valeur, sa quantité, sa composition, ses avantages ou sa sûreté ». En d’autres termes, la loi canadienne interdit la fraude alimentaire.
Vendre un produit en indiquant qu’il s’agit d’un produit d’une valeur supérieure (ex. vendre de la truite en indiquant qu’il s’agit de saumon).
Ajouter un composé de moindre valeur dans un produit afin d’en augmenter la masse (ex. ajouter du sirop de maïs dans le sirop d’érable).
Ajouter des composés chimiques non approuvés pour rehausser le goût ou l’apparence des produits (ex. ajout d’un colorant dans les épices).
Par exemple, vendre des oeufs de poules élevées en cage pour des oeufs bio ou des produits halal qui n’en sont pas.
Fausse représentation de l’origine géographique des produits (ex. poivrons dits récoltés au Canada alors qu’ils proviennent du Mexique).
Fausse représentation d’une appellation d’origine contrôlée (ex. vendre un jambon lambda sous l’appellation de jambon de parme).
Et la revente sur le marché noir.
Dans certains types de fraudes alimentaires, la santé du consommateur peut être mise en danger. Citons, par exemple, le scandale en Chine de l’ajout de mélamine dans le lait en poudre pour nourrissons qui causa, en 2008, des problèmes de santé à plus de 290 000 enfants, dont 860 ont dû être hospitalisés et 6 sont décédés. En 2014, au Royaume-Uni, un restaurateur a servi un plat contenant des arachides au lieu d’amandes à une personne allergique aux arachides. Cette personne est décédée des suites d’une réaction allergique. En revanche, dans de nombreux autres cas, la santé du consommateur n’est pas mise à mal, comme lorsque des poivrons du Mexique sont vendus comme « Produit du Québec ».
Les denrées alimentaires les plus touchées par la fraude alimentaire sont les produits suivants : l’huile d’olive – qui rapporte plus aux contrebandiers que la vente de cocaïne, le miel, les poissons, les épices, les viandes, les boissons alcoolisées, le café, le thé, les jus ou encore les produits laitiers.
L’Union européenne tient un registre de cas de fraudes alimentaires détectés sur son territoire et dans le monde. Les cas suivants datent de février 2017 [3] :
Une entreprise italienne a été prise la main dans le sac. Elle fabriquait de la mozzarella di buffala qui contenant du lait de vache et qui, de surcroît, était additionnée de soude pour masquer l’acidité et l’ancienneté du lait [4].
En Angleterre, une entreprise productrice de viande a vendu de la dinde non halal en indiquant qu’il s’agissait d’agneaux halal [5].
Douze personnes reliées à la mafia italienne ont été accusées de transporter de l’huile de grignons d’olives (les grignons d’olive sont des sous-produits issus de l’extraction de l’huile d’olive et composés de pulpe, de peau et de noyaux) bon marché aux États-Unis où cette huile était réétiquetée comme étant extra-vierge [6].
En Colombie, du dioxyde de soufre a été ajouté à de la panela (pain de vesou) pour le rendre plus frais. Les concentrations de ce produit chimique étaient telles qu’elles pouvaient causer des problèmes de santé chez le consommateur [7]. Aux États-Unis, un restaurant californien de la Silicone Valley a dû payer une amende de 120 000 $ pour avoir vendu, entre 2014 et 2016, du tilapia au lieu de la plie de Californie qui est bien plus chère sur le marché [8].
On peut donc constater qu’aucun secteur n’est épargné et que tous les pays du monde sont touchés par ce fléau.
Figure 1. Il y a une dizaine d’années, on savait déjà que l’huile d’olive était le produit agricole le plus fréquemment adultéré dans l’Union européenne et que les profits estimés étaient comparables à ceux du trafic de la cocaïne. http://www.newyorker.com/ magazine/2007/08/13/slippery-business
Les fraudes alimentaires ne sont pas faciles à détecter. La chaîne d’approvisionnement est de plus en plus longue et implique de nombreux intervenants. Ainsi, le risque d’être arrêté pour fraude est faible comparé au profit généré. L’impact économique de la fraude alimentaire dans le monde a été évalué en 2010 par la GMA (Grocery Manufacturer Association, États-Unis). Les membres de cette association estiment les pertes économiques dues à la fraude alimentaire à 10 à 15 milliards de dollars par an [9].
Au-delà des amendes imposées aux fraudeurs par la justice, les consommateurs perdent de l’argent lorsqu’ils achètent des produits fraudés. Dans la majorité des cas de fraudes, la santé des consommateurs n’est pas mise en danger. Examinons l’exemple proposé par l’équipe du Dr Spink de l’Université d’État du Michigan pour évaluer les gains financiers obtenus par les fraudeurs et, par conséquent, les pertes infligées aux consommateurs bafoués. L’équipe de recherche a considéré l’exemple d’une barre de céréale contenant du gluten de blé. Le gluten de blé gagne en valeur grâce à sa quantité de protéines. Si un lot de gluten de blé ne possède pas une forte quantité de protéines, l’ajout de mélamine permettra de rattraper cet écart. Or, la mélamine est un composé chimique qui présente un risque pour la santé du consommateur en cas d’ingestion d’une dose élevée, comme l’ont démontré les cas évoqués dans le lait maternisé en Chine. De plus, elle est très bon marché. Ainsi, sur une barre de céréales vendue 1,91 $ la livre, 0,25 $ est alloué au gluten de blé. Au lieu de prendre 100 % de gluten de blé, les fraudeurs peuvent prendre 50 % de gluten de blé et 50 % de mélamine (0,001 $/livre). Le gluten de blé frauduleux ne coûte plus que 0,13 $ au lieu de 0,25 $, et la livre de barre de céréales est vendue 1,91 $ au lieu d’être vendue au prix de sa valeur, à savoir 1 786 $. Ainsi, sur chaque livre de barre de céréales, le fabricant fait un bénéfice supplémentaire de 0,13 $. Les bénéfices sont évidemment générés au détriment du consommateur [10]. Les fraudes s’opèrent tant sur les produits qui en faible quantité coûtent cher (comme le caviar qui apporte une valeur ajoutée conséquente avec peu de produits) que sur ceux qui sont fabriqués en grande quantité (des petites sommes sont obtenues pour chaque produit vendu).
Dans un rapport paru en 2013, rédigé par la Convention de la Pharmacopée des États-Unis, il est signalé qu’environ 10 % des produits alimentaires vendus dans le monde seraient fraudés [11]. Les impacts économiques engendrés par la fraude alimentaire sont difficiles à évaluer et à mesurer puisqu’il est seulement possible de le faire lorsque les cas sont détectés et traduits en justice. La prévalence de la fraude alimentaire peut être visualisée comme un iceberg. La partie émergée de l’iceberg représente les cas de fraudes que les autorités détectent, et la partie immergée représente les cas des fraudes non détectés et non poursuivis.
Il est possible de connaître les incidents de fraudes alimentaires ayant eu lieu dans le monde via le site de la Convention de la Pharmacopée des États-Unis. Son moteur de recherche permet de sélectionner les pays dans lesquels ont eu lieu les cas de fraudes. Au Canada, seulement 8 cas de fraudes sont répertoriés par rapport aux 90 cas pour les États-Unis. Cela ne veut pas forcément dire que le Canada est moins assujetti aux fraudes. Parmi ces huit cas, on peut citer des cas de vol et de revente de sirop d’érable, comme celui de 2012 dont le jugement fut récemment rendu, où presque 10 000 barils de sirop d’érable ont été dérobés à l’entrepôt de la Fédération des producteurs acéricoles du Québec et revendus en Ontario, au Nouveau-Brunswick et aux États-Unis [12]. Ce cas de fraude fut évalué à 18,7 millions de dollars. Un cas de mensonge sur l’origine du miel a été découvert en 2004 : l’Agence d’inspection des aliments en Colombie-Britannique a détecté, dans du miel produit au Canada, la présence de chloramphénicol, un antibiotique interdit au Canada et dans nombreux autres pays à cause des risques qu’il peut présenter pour la santé. Deux années auparavant, ce même antibiotique avait été retrouvé dans du miel importé de Chine [13]. Mentionnons, comme dernier cas, la vente d’huile d’olive extra-vierge qui contenait en fait 50 % d’huile de tournesol [14]. L’initiateur de cette fraude a dû payer une amende de 40 000 $.
Les médias diffusent très largement les cas de fraudes alimentaires locales, nationales ou internationales. Ainsi, le consommateur est informé de ces dangers et peut prendre ses dispositions face à la fraude. Le rapport d’une enquête conduite au Canada par le Dr Sylvain Charlebois de l’Université Dalhousie présente les impressions des consommateurs canadiens face à la fraude alimentaire. Le rapport suggère que 63 % des personnes interrogées étaient inquiètes face à la fraude alimentaire en général, 74 % l’étaient face aux produits importés contre 57 % face aux produits fabriqués ou transformés au Canada. La majorité des personnes interrogées (56,6 %) font confiance aux autorités pour détecter les fraudes, mais seulement 28 % font confiance aux industriels pour prévenir ce fléau. Ce sondage montre bien que la population canadienne est consciente de ce problème dans la chaîne alimentaire et qu’un tiers des personnes interrogées pensent être elles-mêmes responsables de leur protection [15].
Avant de présenter les méthodes disponibles pour détecter la fraude, il est important de mentionner que leur choix varie en fonction de ce que nous cherchons. Prenons le miel en guise d’exemple. Que devonsnous valider? Nous pouvons vérifier son origine (Provient-il bien du pays indiqué sur l’étiquette?), nous pouvons tester sa composition (A-t-il été dilué avec un sirop de valeur moindre et, si oui, lequel? Contient-il des adultérants dangereux?). Chaque produit ou ingrédient peut présenter de multiples fraudes, et même, plusieurs fraudes peuvent être commises en même temps. Donc, à chaque fraude sa méthode et son équipement. Voilà ce à quoi font face les industries agroalimentaires pour garantir que leurs produits ne sont pas frelatés. Il y a autant de techniques que de types de fraudes, et chaque type de fraudes est différent selon le produit alimentaire considéré. De ce fait, les scientifiques à travers le monde ont développé de nombreux protocoles pour détecter la fraude alimentaire. Un bref aperçu de ces dernières est présenté ci-dessous.
Déjà à son époque, le chimiste Frederick Accum donnait des pistes à ses lecteurs pour déceler certaines irrégularités : « Ce produit est quelquefois contaminé par le plomb parce que le fruit qui produit l’huile est soumis à l’action de la presse entre les plaques de plomb. C’est […] une pratique [utilisée] en particulier en Espagne […]. L’huile d’olive française et italienne est généralement exempte de cette imprégnation ». Ainsi, Accum donnait un moyen de différencier l’origine de l’huile grâce à la présence de plomb. Accum proposait la méthode suivante pour détecter le plomb dans l’huile : « La présence de plomb est détectée en secouant, dans un flacon fermé, une partie de l’huile suspecte avec deux ou trois parties d’eau imprégnées de sulfure d’hydrogène. Cet agent rendra l’huile d’une couleur brun foncé ou noire si un métal, nuisible à la santé, est présent. La pratique de garder cette huile dans des citernes en étain ou en plomb, comme c’est souvent le cas, est répréhensible parce que l’huile agit un profil de spectroscopie de l’échantillon, placé le long d’un contenant tel qu’un récipient en plastique ou en verre transparent. Ce genre de nouvelle technologie peut être utilisée sur le terrain ou dans une usine agroalimentaire pour identifier des profils d’échantillons et pour les comparer avec une base de données. On peut aussi nommer une autre technologie développée par le Dr Gu et ses collègues [19]. Ces derniers ont modifié un glucomètre, un instrument mesurant le taux de sucre dans le sang pour les diabétiques, afin qu’il puisse détecter la mélamine dans le lait. Cette étude de développement peut donner accès à un outil pratique, peu dispendieux et facile d’utilisation et d’interprétation.
Figure 2. Illustration de Virginie Barrère. Inspiré de Zavitsanos, P. 2010. Fish and Chips. Food Quality and Safety http://www.foodqualityandsafety.com/article/fish-and-chips/
En résumé de nombreuses technologies sont disponibles pour détecter la fraude alimentaire, mais de nombreuses questions doivent être posées avant de se lancer dans des études coûteuses de développement et d’optimisation de protocoles. Il est essentiel de connaître les besoins des industriels et des régulateurs en termes de détection de fraudes, d’associer la bonne méthode de détection au test proposé et de rendre cette méthode bon marché et facile d’utilisation. De plus, les scientifiques devraient se tourner largement vers les plateformes de partage afin d’y déposer leurs résultats (profils de spectroscopie, séquences ADN), leurs rapports d’analyse et leurs observations selon un modèle défini au préalable. Ce genre d’ententes feraient avancer la recherche à grands pas et permettraient d’effectuer des analyses plus globales et plus pertinentes, prenant en compte plus d’informations. En outre, notons qu’une telle plateforme existe déjà (BOLD); il n’est donc pas impossible de reproduire cette grande réussite pour d’autres méthodes de détection, comme la spectroscopie.
Face à la menace que représente la fraude alimentaire, tous les acteurs de la chaîne doivent prendre des dispositions pour limiter les risques et assurer l’authenticité des produits alimentaires. L’industrie agroalimentaire possède des outils qui lui permettent de mieux évaluer les risques de fraudes le long de sa chaîne d’approvisionnement. En effet, le système VACCP (Vulnerability Assessment and Critical Control Point) calqué sur le système HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Point) présente les directives à suivre pour identifier et mesurer la probabilité de fraudes pour chacun de ses produits. Cela lui permet de limiter les risques d’acheter des produits qui ont plus de chances d’être altérés. Les entreprises agroalimentaires possèdent, dans leur majorité, un système de salubrité et de qualité alimentaire mis en place et inspecté régulièrement. Le Global Food Safety Initiative (GFSI) reconnaît et certifie conforme ces systèmes, donnant ainsi aux entreprises de la crédibilité auprès de leurs clients. Une entreprise certifiée avec un système de qualité démontre sa maîtrise des risques potentiels en agroalimentaire (contamination bactérienne, par exemple) et rassure ses clients présents et futurs.
Désormais, depuis 2015, ces systèmes de qualité et de salubrité alimentaire, comme le British Retail Consortium (BRC) et l’International Featured Standard (IFS), imposent aux entreprises de mettre en place une analyse des risques de fraudes sur leurs produits et un plan de contrôle pour identifier les risques et pour réduire les risques d’acheter et de vendre des produits frauduleux. Prenons pour exemple le BRC. Dans ses exigences, il est stipulé au chapitre 3.5 portant sur l’approbation des fournisseurs et des matières premières, et le contrôle de performance que « l’entreprise doit avoir un système efficace d’approbation et de contrôle des fournisseurs. Il permet de garantir que tous les risques potentiels provenant des matières premières (y compris les emballages) et affectant la sécurité sanitaire, l’authenticité, la légalité et la qualité du produit fini sont compris et gérés ». Le BRC, dans sa plus récente version, dédie tout un chapitre (5,4) à l’évaluation des risques de fraudes : « Des systèmes doivent être en place pour minimiser les risques d’achats de matières premières alimentaires frauduleuses ou adultérées et pour garantir que toutes les descriptions des produits et les allégations sont légales, véridiques et vérifiées ». Ainsi, dans sa démarche de certification, une entreprise doit procéder à différentes étapes pour valider son analyse des risques et son plan de contrôle. Le meilleur moyen d’y parvenir serait de se mettre dans la peau du fraudeur et se demander où, quand et comment la matière première peut être altérée.
Prenons l’exemple d’une usine qui fabrique des terrines. Elle doit, dans un premier temps, lister tous ses produits et, pour chacun d’eux, tous les ingrédients (matières premières) qui les composent. Pour chacune des matières premières, l’entreprise doit évaluer la probabilité qu’une fraude ait lieu. Pour ce faire, elle peut d’abord référencer les rapports d’incidents précédents via des sources gouvernementales, associatives ou privées. Ensuite, elle doit évaluer ses chances de détecter une fraude. Est-ce une fraude visible à l’oeil nu? Existe-t-il un test pour la détecter rapidement (d’où la nécessité de créer des tests rapides et faciles d’utilisation)? Dans un troisième temps, elle doit évaluer la profitabilité d’une telle fraude. Elle doit se questionner sur le gain financier que pourrait obtenir le fournisseur sur cette matière première. Par exemple, si l’entreprise utilise de la viande de sanglier, il est possible qu’elle reçoive de son fournisseur de la viande d’une autre espèce animale moins chère et qu’elle doive procéder à l’évaluation de la sévérité d’une telle fraude. Si l’entreprise utilise des noix comme intrants dans une terrine, elle doit s’assurer qu’elles ne contiennent pas d’arachides, car l’entreprise ajouterait un allergène dans le produit final à son insu sans le stipuler sur son étiquette. Elle mettrait donc en danger les consommateurs allergiques aux arachides. Après une telle analyse, l’entreprise est en mesure de savoir quelle matière première peut présenter un risque. L’entreprise peut alors choisir de changer de fournisseur si elle estime que le pays d’origine ou le producteur représente trop de risques. La situation peut se complexifier si l’entreprise achète des produits déjà transformés comme intrants. Il faut alors avoir accès à l’évaluation de vulnérabilité de son fournisseur, s’il est tenu d’en faire une. Il est souvent nécessaire de remonter très loin dans la chaîne d’approvisionnement pour obtenir les réponses. En l’absence de réponses et de garanties, l’entreprise devra se tourner vers un fournisseur plus fiable.
Un autre outil essentiel contre la fraude est le maintien d’un système de traçabilité dans son entreprise. Le BRC recommande de « conserver des enregistrements d’achats, la traçabilité de l’utilisation des matières premières et des enregistrements d’emballage du produit fini pour étayer les allégations ». Ces documents permettent à l’entreprise de remonter à la source et de pouvoir identifier un éventuel risque dans la chaîne d’approvisionnement.
Les gouvernements devraient mettre en place des systèmes de prévention en augmentant le nombre d’inspections des produits alimentaires. En effet, la fraude alimentaire existe principalement à cause de la disparité entre la probabilité de gains financiers et le risque de se faire prendre. C’est ainsi que la FDA (Food and Drug Administration) américaine parle de « Economically Motivated Adusteration » (EMA). Les fraudeurs ont conscience du manque de connaissances des autorités et du manque de techniques rapides et efficaces pour détecter la fraude. De plus, ils changent souvent leur modus operandi et échappent à la mise en accusation. Les gouvernements et les instances internationales doivent se mettre en accord sur une réglementation commune de la fraude de par le monde. Cet élan pourrait donner lieu à des directives pour les entreprises et les organismes de régulations afin de mieux identifier les risques de fraudes et en réduire l’occurrence. Enfin, les cas de fraudes seraient aussi diminués si les amendes et les sanctions encourues par les fraudeurs étaient plus sévères et donc plus dissuasives.
Selon Markets and Markets, le marché des tests pour l’identification des espèces de viandes devrait atteindre 2,22 milliards $ d’ici 2022, avec un taux de croissance annuel de 8,2 % depuis 2016. En effet, le marché est dicté par une augmentation significative des cas d’adultération et de fraude alimentaire, du renforcement des convictions religieuses, du renforcement des lois sur l’étiquetage, de l’implantation de règlements gouvernementaux et de la demande croissante des consommateurs pour des produits certifiés. Les tests pour la détection du porc constitueraient le plus grand segment du marché [20]. Les tests utilisant les technologies PCR (Polymerase chain reaction) continueront de dominer le marché au détriment des techniques de type ELISA (Enzyme-linked immunosorbent assay). Les tests utilisant les produits crus continueront également d’être privilégiés. Le marché européen était jusqu’à maintenant le plus important marché, notamment à cause de la rigidité des règlements en matière d’innocuité alimentaire qui y sont appliqués. Le prochain marché à s’ouvrir serait celui de l’Asie-Pacifique qui tendrait à renforcer la réglementation. Plus la réglementation sera rigide et appliquée, plus le marché des tests de détection de la fraude alimentaire deviendra puissant.
Une autre étude de Markets and Markets s’intéressant plus globalement aux tendances des tests dans l’industrie agroalimentaire, projette une croissance des tests de détection rapide des pathogènes (7,9 %) et des résidus de pesticides dans les aliments crus, et des tests d’authenticité dans les aliments transformés tels que les laits maternisés. En ce qui concerne les marchés ayant la croissance la plus rapide en Amérique du Nord, ce sont les tests de détection d’allergènes qui remporteraient la palme [21].
Tel que rapporté dans le Biosourcé volume 4, numéro 4, l’utilisation de brevets comme outil indicateur de tendance en innovation aide à déterminer qui sont les déposants majeurs et quels sont les principaux produits sur lesquels ils travaillent. On peut ainsi déceler plusieurs tendances en lisant les brevets et en sachant qui sont les déposants majeurs, qui pourraient apporter des réponses à nos questions, ou encore former un partenaire intéressant pour nos projets de recherche ou nos produits. Les brevets peuvent également positionner une entreprise à l’égard de ses compétiteurs en déterminant lesquels sont proches de notre recherche, travaillent sur les mêmes formulations ou sont initiateurs de découvertes. Il faut également savoir que les demandes de brevets sont souvent la seule source d’informations sur les entreprises qui ne publient pas dans les revues scientifique.
Le symposium « Fraude alimentaire – Compréhension globale » a eu lieu les 4 et 5 avril dernier au Château Frontenac de Québec. Cette réunion internationale avait comme objectif de préciser la situation actuelle de la problématique de la fraude alimentaire aux quatre coins du monde avec les acteurs et intervenants du milieu.
Cet événement fut organisé par le CRIBIQ conjointement avec l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF) de l’Université Laval et Queen’s University de Belfast, avec la collaboration de nombreux partenaires financiers et stratégiques : R-Biopharm, EnvironeX, Mars Global Food Safety Center, Citadelle, BDO; Food Integrity, AOAC, IUFOST, AQIA, Trans Biotech, l’Actualité alimentaire et le ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation du Québec.
Les cent quatre-vingt-deux (182) participants provenaient de quatre continents et de douze pays, soit le Canada, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Belgique, l’Écosse, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche, la Chine, l’Australie et la République sud-africaine. Étaient présents les responsables et représentants de vingt-quatre organismes internationaux (UN-IDO-ODC; FAO-FSU; Codex Alimentarius; EU-FFN), nationaux (USA-FDA, -FSA, -FFSVO ; GBR-FCU; IRL-FSAI; SCO-FSA; NLD-NFSA;
CHN-CFSA; AUS-DAWR; CAN-ACIA, -AAC; QC-MAPAQ, ATQ; ON-OMAFRA-FST) et organismes privés (USP, AOAC, IUFOST, FERA Sciences, arc-net) directement impliqués dans la régie des systèmes réglementaires, l’inspection des aliments et la prévention de la fraude alimentaire. Pas moins de 80 représentants provenant des secteurs de la production, de la transformation, de la distribution alimentaire, des services-conseils et d’analyses alimentaires ont participé à ce rassemblement. Sept universités et quatorze centres et instituts de recherche étaient également représentés. Plusieurs médias de la presse écrite, de la radio et de la télévision ont couvert l’événement.
En ce qui concerne la confiance des consommateurs, plus de 63 % d’entre eux au Canada doutent de l’origine des produits. Les consommateurs semblent avoir confiance en la liste des ingrédients affichés (ex. allergènes), mais pour les autres informations apparaissant sur les étiquettes, la confiance est moindre. Au Québec, les exemples les plus récents de fraudes alimentaires ont dénoncé, entre autres, la présence de porc dans trois échantillons de boeuf haché emballé sur quatre (TVA, 2017), des défauts de conformité allant jusqu’à 65 % des étiquetages de produits bio (2016), de l’huile d’olive vierge falsifiée (2015), des fruits et légumes du Mexique faussement étiquetés du Québec (2011-2013). Un sondage effectué en 2016 par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) sur plus de mille Québécois montre que 24 % des Québécois estimeraient que la fraude alimentaire est présente [22]. 51 % auraient confiance dans la liste d’ingrédients affichés, 41 % dans l’origine géographique indiquée et seulement 29 % dans les allégations visuelles (ex. bio). 37 % de la population estimerait que le risque de telles fraudes alimentaires est élevé ou très élevé; la perception de ce risque augmenterait avec l’âge, diminuerait avec les niveaux de scolarité et de revenu. De plus, les Québécois francophones sembleraient plus confiants que les anglophones. Les conclusions générales présentées par les auteurs de cette étude sont les suivantes :
Les consommateurs ne se considèrent pas suffisamment informés;
La faible confiance dans la gestion gouvernementale du risque apparait reliée davantage à un problème d’application de la réglementation qu’à la réglementation elle-même;
Il apparait important que la perception et le niveau de confiance des consommateurs soient pris en considération avant le développement et la mise en place d’une réglementation;
Les investissements requis doivent apparaitre davantage pour le consommateur comme étant un gain de valeur qu’une dépense.
Le scotch whisky est l’exemple type d’un produit très à risque d’être fraudé, car il a une grande valeur en raison de sa renommée et de son prix, et il est très recherché partout dans le monde, notamment dans les pays émergents. Les pertes économiques dues à la fraude, soit par l’étiquetage, par la dilution, par des mélanges avec des whiskys d’autres origines ou d’alcools, ou encore par l’ajout d’arômes artificiels, totaliseraient ₤200 millions par an (355 millions de $ CAN). Une série d’analyses développées pour la Scotch Whisky Association visant à démontrer l’authenticité de leur produit ont été approuvées ISO 17025 au Royaume-Uni et sont utilisées à plusieurs endroits dans le monde pour poursuivre les fraudeurs. Ainsi, jusqu’à 70 % des échantillons douteux de produits d’exportation retrouvés à l’étranger ont pu être identifiés comme contrefaits. Le choix des méthodes qui ont été retenues fait référence au type de fraude présumée en relation avec la définition légale du scotch (matières premières, procédé, contenu) et inclut les méthodes suivantes : la densitométrie, la spectroscopie UV/visible, la GC-FID (chromatographie en phase gazeuse couplée à un détecteur à ionisation de flamme), la GC-MS (chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse), la HPLC-UV (chromatographie en phase liquide à haute performance couplée à un détecteur UV), la chromatographie échangeuse d’ions, les ratios des isotopes stables et l’évaluation sensorielle.
Dans le cadre de la collaboration avec le programme européen de la « Food Integrity », il a d’abord été établi que l’industrie avait besoin de méthodes portatives (ex. sac à main) et facilement transportables (ex. dans la voiture) de détection de produits suspects chez les distributeurs et les vendeurs. Il fut également établi qu’il est nécessaire de développer des méthodes rapides pour confirmer la contrefaçon au laboratoire et qu’il faut que les informations spécifiques à chaque fabricant et à chaque marque demeurent confidentielles et ne soient pas partagées.
Parmi les méthodes proposées, citons les suivantes :
RIDA © CUBE Scan Analyzer, pour évaluer l’altération avec des sucres (glucose, fructose, sucrose);
Ocean Optics Spirit Sampler, pour détecter par spectres UV/visible les contrefaçons grossières (pass or fail test);
Field-portable GC/MS Perkin Elmer Torion T-9, qui permet d’identifier six marqueurs d’alcools contrefaits (Ethyl-acetate,- hexanoate, -octanoate, -decanoate, -dodecanoate, 3-Methyl-1-butanol) et d’identifier les marques;
Microsaic 4000MiD® ESI-MS, qui permet d’identifier des marqueurs d’alcools contrefaits, des adultérants ajoutés et d’identifier les marques; Anatune Dynamic Headspace (DHS)/GC/QTOF-MS afin de détecter des arômes particuliers. Les résultats obtenus par MS ont été corroborés par olfactométrie simultanée et ont permis d’identifier des composés non présents dans le whisky (ex. ethyl maltol, ethyl vaniline), d’autres utilisés comme transporteurs de saveurs (ex. diacétine, benzyl alcool), et d’autres présents dans le whisky, mais à plus faible concentration (ex. oak lactone, ethyl heptanoate).
Anatune Dynamic Headspace (DHS)/GC/QTOF-MS afin de détecter des arômes particuliers. Les résultats obtenus par MS ont été corroborés par olfactométrie simultanée et ont permis d’identifier des composés non présents dans le whisky (ex. ethyl maltol, ethyl vaniline), d’autres utilisés comme transporteurs de saveurs (ex. diacétine, benzyl alcool), et d’autres présents dans le whisky, mais à plus faible concentration (ex. oak lactone, ethyl heptanoate).
Pour déterminer l’authenticité des spiritueux, il n’y a cependant pas de « one tool fits all ».
Une des composantes de la problématique qui fut soulignée tout au long des échanges lors de l’événement est qu’il y a un réel besoin de développer des méthodes moins complexes, plus abordables et portables, qui soient applicables à des technologies de type « smart phone », qui ne nécessitent pas ou très peu de préparation des échantillons, avec moins de sensibilité (ex. ≤0,5 %). Ces dispositifs devraient être plus orientés vers la prévention que la détection de la fraude alimentaire, et les résultats devraient présenter un niveau très élevé de corrélation avec ceux obtenus par les méthodes en laboratoire. Ce faisant, des technologies plus complexes devraient continuer à être utilisées dans différents laboratoires afin d’enrichir les bases de données et de spectres moléculaires, et de contribuer à mieux les interpréter. Pour construire la confiance internationale, l’accès au Big Data permettrait de mieux valider ces technologies et d’établir des consensus internationaux pour des produits très couramment frelatés. Il y a encore beaucoup de mauvaises analyses qui sont réalisées, et beaucoup sont mal interprétées. Il faudrait augmenter l’échantillonnage et l’utilisation de séries de références pour éviter les faux positifs et négatifs, de même que les contaminations croisées. Les bases de données devraient aussi répertorier les analyses effectuées jour après jour, sur un large éventail de différents produits (ex. whiskys), à l’aide de méthodes validées par des laboratoires accrédités afin de justifier la validité devant les cours de justice. D’ailleurs, la reproductibilité dans tous les laboratoires est essentielle pour démontrer la confiance en chacune des méthodes requises en cour. À cet effet, il pourrait aussi être pertinent de favoriser l’utilisation de plusieurs méthodes complémentaires plutôt qu’une seule pour chaque produit. De plus, il serait important de bien informer le public sur les sources valables d’information.
Dans un contexte international où les marchandises et échanges d’intrants alimentaires continueront de circuler de plus en plus facilement et rapidement, il deviendra nécessaire d’harmoniser les méthodes et les systèmes réglementaires plutôt que de travailler en silo, pays par pays, organisme par organisme. Ceci étant dit, parmi les différentes structurations d’intérêts visant à contrer la fraude alimentaire, la réglementation n’est pas la seule qui existe. L’industrie bioalimentaire demande donc qu’il y ait un minimum de collaboration entre les différents pays. En effet, il faudrait inclure les pays qui présentent un haut niveau d’intérêt dans la coalition en devenir et, selon les experts, le maillon faible de la chaîne serait constitué par les pays dont l’économie est en émergence. Un système de base de contrôle serait donc requis dans ces pays. À cet effet, il faudrait :
Dans le cadre de la collaboration avec le programme européen de la « Food Integrity », il a d’abord été établi que l’industrie avait besoin de méthodes portatives (ex. sac à main) et facilement transportables (ex. dans la voiture) de détection de produits suspects chez les distributeurs et les vendeurs. Il fut également établi qu’il est nécessaire de développer des méthodes rapides pour confirmer la contrefaçon au laboratoire et qu’il faut que les informations spécifiques à chaque fabricant et à chaque marque demeurent confidentielles et ne soient pas partagées.
pouvoir utiliser la capacité technologique et analytique disponible sur place;
prendre en compte que ces pays disposent de peu de ressources pour le contrôle alimentaire et considérer que l’implication de chacun de ces pays dans une mobilisation pour contrer la fraude alimentaire sera dépendante de l’intérêt que représente le nombre d’emplois qui y sont rattachés.
Dans la démarche globale qui s’amorce, il est nécessaire de se rappeler que la fraude alimentaire n’est pas seulement une question alimentaire (Food fraud is not a food issue), mais principalement une question de fraude, et qu’il est fondamental d’appliquer différents moyens pour changer les attitudes. En lien avec ce changement d’attitude, le GFSI (voir p.7), permettant d’évaluer la vulnérabilité des entreprises, constitue un système adéquat pour accentuer la réflexion des entreprises. Par contre, ce système est difficile à implanter dans les PME et les pays émergents, ce qui suggère qu’il ne serait pas nécessairement souhaitable de le rendre obligatoire via un règlement. Le GFSI pourrait toutefois être envisagé pour les produits voués à l’exportation. Dans les pays émergents, les règles du Codex pourraient vraisemblablement être suffisantes. De nouvelles discussions sont cependant ouvertes pour se demander si justement le Codex serait suffisant pour prévenir la fraude alimentaire.
Pour conclure, dans le but de pallier aux différences de définitions entre les pays, tout en considérant équitablement les réalités économiques qui prévalent dans les pays émergents, certains paramètres nécessitent d’être clarifiés pour dynamiser l’obtention d’un consensus international. Il s’agit des paramètres suivants :
les lois et règlements de chaque pays;
les intentions des pays en matière de sanctions;
les attentes des consommateurs;
les impacts économiques générés par une réglementation internationale sur toutes les chaînes de valeur et;
les directives générales quant aux peines.
L’initiative « Global Alliance Against Food Fraud », qui fut suggérée lors du dernier panel de discussion et qui représenterait toutes les organisations internationales, permettrait de mettre sur pied une stratégie internationale qui puisse répondre aux spécifications nécessaires pour l’obtention d’un tel consensus.
En définitive, selon plusieurs des points de vue exprimés, il ne devrait pas y avoir de différences marquées entre la fraude alimentaire et toute autre forme de criminalité. Ainsi, les lois régissant ce type de crime pourraient relever du Code criminel au lieu des lois alimentaires qui, pour leur part, devraient adresser l’innocuité alimentaire plutôt que la fraude. Cette vision ne fait toutefois pas l’unanimité et certains, dont le Pr Samuel Godefroy, professeur à l’Université Laval et expert en analyse des risques et politiques réglementaires des aliments, estiment qu’à l’image des changements qui ont pu être observés afin d’atténuer les risques liés à la salubrité des aliments, les instances réglementaires se verront vraisemblablement passer d’une position en mode réaction, qui se contente d’interdire la fraude alimentaire sans réelle structure d’analyse de risques, à une dynamique de prévention par l’implantation d’un système basé sur la science, le partage des responsabilités et une analyse du risque structurée qui réduira les probabilités de fraudes sur toute la chaîne d’approvisionnement. Les coûts sociétaux qui seront associés à ces mesures sont en ce moment impossibles à évaluer. Il est toutefois raisonnable d’envisager qu’ils seront élevés.
Éditorial de Marc Hamilton, Président d’Eurofins EnvironeX
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